Le Serment de collège (Alexis DECOMBEROUSSE)

Comédie en un acte, mêlée de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 8 janvier 1838.

 

Personnages

 

LE PRINCE

DE MELBERT, son ministre

FRIEDLIN, ancien ami de de Melbert

DE LIEBNAU, envoyé badois

LIESTAL, officier du prince

CLARISSE, femme de Liebnau

STELLA, jeune fille élevée par elle

UN VALET

SUITE DU PRINCE

VALETS, etc.

 

La scène est en Allemagne, de nos jours.

 

Le théâtre représente le jardin de la maison de campagne du prince. Au fond, un pavillon élégant, avec porte. Suite de bâtiments à droite du spectateur, toujours au fond ; à gauche, bosquet avec chaises de jardin.

 

 

Scène première

 

LE PRINCE, LIESTAL

 

LE PRINCE.

Enfin nous sommes arrivés... Il y avait longtemps que je n’avais visité ce château ; jamais ces jardins ne m’avaient paru aussi délicieux...

À Liestal.

Approchez, Liestal. A-t-on installé M. et madame de Liebnau dans leur appartement ?

LIESTAL.

Oui, mon prince, ainsi que...

LE PRINCE.

La jolie Stella, leur pupille... Elle ne quitte jamais la baronne, sa bienfaitrice.

À part.

J’y comptais.

Haut.

Ne leur annoncez pas encore mon arrivée ; plus tard, je les ferai prévenir.

Fausse sortie.

Ah ! Liestal, je n’y suis pour personne. Point d’affaires surtout : c’est ici un lieu de plaisir où je veux me distraire quelque temps de toute occupation sérieuse.

Il entre dans le pavillon.

LIESTAL, après avoir salué le prince.

Je serais bien trompé si l’amour n’était pas une des distractions que se propose Son Altesse.

Regardant.

Mais est-il possible ! M. de Melbert, notre premier ministre !

 

 

Scène II

 

LIESTAL, DE MELBERT

 

MELBERT.

Oui, mon cher Liestal, tu me vois d’une inquiétude... Depuis quelque temps, le prince ne semble plus m’accueillir avec la même bonté... Ce brusque départ dont il ne m’a pas prévenu... Je tremble que mes ennemis ne profitent de cette circonstance pour me perdre, et que le prince ne vienne ici pour signer ma disgrâce... Mais, dis-moi, quelles sont les personnes qui l’ont suivi ?

LIESTAL.

Je n’ai encore vu que M. de Liebnau.

MELBERT.

M. de Liebnau, l’envoyé de Bade !... qui m’a presque refusé hier de signer le traité d’alliance par lequel notre souverain obtient en mariage la princesse Amélie... Je comprends tout maintenant... c’est lui qui conspire ma ruine.

LIESTAL.

Que lui avez-vous donc fait ?

MELBERT.

Je l’ignore ; à moins que ce ne soit la demande que je lui ai adressée de la main de l’aimable Stella, cette jeune fille élevée par madame de Liebnau, et que je crois un peu sa parente.

LIESTAL.

Ces dames sont aussi du voyage.

MELBERT.

Stella ?... en es-tu bien sûr ?

LIESTAL.

Je les ai installées moi-même, ce matin, une heure avant le prince.

MELBERT.

Ah ! si je pouvais la voir !... combien j’étais loin de m’attendre au refus qu’on m’a fait d’elle. La fière madame de Liebnau me recevait très bien... elle ne trouvait jamais mes visites assez fréquentes... mais depuis un certain jour, où, négligeant de faire le diplomate pour ne songer qu’à mon amour, je donnai le bras à la jeune fille au lieu de l’offrir à la grande dame...

Air du Vaudeville du Premier Prix.

De la baronne la tendresse
Soudain fit place à la froideur ;
Et j’ai trop tard, je le confesse,
Senti quelle était mon erreur.
Mettant la prudence en pratique,
J’aurais dû joindre encore un jour
À l’amour de la politique
La politique de l’amour.

LIESTAL.

Vous m’en direz tant... Toutefois la présence de M. de Liebnau et de ces dames a un autre motif... Ou je me trompe fort... ou le prince est votre rival.

MELBERT.

Y penses-tu ? Non, non... c’est impossible... la demande en mariage qu’il a faite de la princesse Amélie... Le prince a des mœurs...

LIESTAL.

Oui, mais des mœurs de prince, prenez-y garde !

MELBERT, regardant.

Que vois-je là-bas dans cette allée ?... c’est elle, mon cher Liestal ! c’est Stella !...

LIESTAL.

En effet... elle cueille une fleur... à votre intention, peut-être.

MELBERT.

Elle vient de ce côté... Ah ! au milieu de tous mes ennuis, c’est un bonheur auquel je ne m’attendais pas !

LIESTAL.

Et je vous laisse en profiter.

Il sort.

 

 

Scène III

 

DE MELBERT, STELLA, puis FRIEDLIN

 

MELBERT, allant au-devant de Stella.

Ma chère Stella !

STELLA.

Vous ici, monsieur !... que je suis contente de vous voir !... J’étais si triste ce matin en quittant la ville de n’avoir pu vous dire que ce n’est pas moi qui vous ai refusé ; on n’est seulement pas venu me consulter ! j’aurais bien vite répondu... oui !

MELBERT.

Ah ! combien cette tendresse si naïve ajoute à mes regrets !

STELLA.

Jugez de mon chagrin quand j’ai su tout ce qui s’était passé, et que nous allions partir pour la campagne du prince... Le prince !... il est bien bon, sans doute, et bien aimable... mais je ne sais pourquoi je me sens tout embarrassée en sa présence... Ah ! ce n’est pas comme avec vous... Mais pourquoi madame de Liebnau a-t-elle refusé la main d’une pauvre orpheline à un homme d’un grand talent, premier ministre, enfin ?

MELBERT.

Peut-être ne le serai-je pas encore longtemps... mon défaut de naissance nous a perdus... Elle ne me pardonne pas une élévation que je ne dois qu’à moi-même. Vous êtes alliée à madame de Liebnau, vous, et comme son époux, elle est sans doute aussi d’une trop grande famille !...

STELLA.

Madame de Liebnau ?... Mais je ne sais pas... je ne lui ai jamais entendu parler de ses parents, ni à M. de Liebnau non plus...

MELBERT.

Oh !... cela va sans dire... Mais, Stella, il est possible que je quitte bientôt ce château, et pour n’y plus revenir.

STELLA.

N’y plus revenir !...

MELBERT.

Je dois m’attendre à tout ; dans peu d’instants, mon sort va se décider ; une première entrevue avec le prince m’apprendra peut-être une, disgrâce. Je souffrirais trop s’il fallait m’éloigner sans vous revoir... Si je dois partir... un mot de moi vous demandera un moment d’entretien, ici ; viendrez-vous ?

STELLA.

Oh ! sûrement !... pourrais-je vous refuser ? avec vous je n’ai rien à craindre, et s’il existait d’autre dangers, je les braverais pour vous revoir encore, pour nous consoler ensemble.

Air.

Comptez sur moi, toujours je fus sincère,
Et j’ose ici tout haut le déclarer,
En vain, hélas ! la fortune contraire
Veut à jamais de vous me séparer.
Chassant la défiance,
Dans l’avenir je rêve l’espérance :
Elle soutient et ranime mon cœur ;
Oui, l’espérance,
Je le sens là, c’est du bonheur.

MELBERT, avec transport.

Ah ! quoi qu’il puisse arriver... à vous pour la vie !...

Il lui baise la main.

FRIEDLIN, arrivant par le fond, à gauche.

Absolument comme dans Marie Stuart, de Schiller, acte troisième, scène quatrième.

STELLA.

Ah ! mon Dieu !...

Elle s’enfuit.

MELBERT, sortant du côté opposé.

Au diable l’importun !

 

 

Scène IV

 

FRIEDLIN, seul, les regardant sortir

 

Vous avez bien tort de vous déranger... je suis vraiment au désespoir...

Descendant la scène.

Encore un accident !... et... je parie que celui-là doit aussi me porter bonheur ! C’est singulier, comme mon étoile est heureuse... tout ce qui amènerait la ruine des autres me sert et me protège... Par exemple... acteur distingué... à Batavia... d’où j’arrive... malgré le succès pyramidal que j’obtiens en cumulant l’emploi des premiers rôles... premiers comiques... un beau jour le théâtre ferme... désolation universelle... mais voyez un peu !... le lendemain, à l’heure du spectacle, au moment où j’aurais été en scène... la salle s’écroule ! sans la bienheureuse fermeture de la veille, j’étais enfoncé, mutilé, anéanti !... c’est une prédestination !... Alors, le désir de revoir ma patrie se réveille en moi... je réunis mes très légères économies, que je convertis en bon papier sur Hambourg, et bientôt enfin je foule le sol germanique... Mais là, autre traverse... J’allais toucher ma dernière lettre de change, quand je m’aperçois que quelqu’un de fort adroit m’en a débarrassé en me laissant à la place un journal... Merci ! eh ! oui, merci... car ce journal m’apprend qu’une direction théâtrale est vacante dans mon propre pays... et je décide que je serai directeur !... Très bien... mais comment ?... Sans argent et après une longue promenade, accablé de fatigue... impossible d’aller plus loin... tout à coup !... clic !... clac !... passe une voiture aux armes royales... c’est un fourgon portant le confortable du prince, et qui m’annonce que le lendemain ce château deviendra sa résidence ! Le prince !... je ne pouvais aller jusqu’à lui... et il vient au-devant de moi !

Air de Partie et Revanche.

On dit partout qu’il faut rouler voiture
Pour attraper la fortune, et pourtant
Ma recette est, je crois, plus sûre :
Je vais toujours piano, pédestrement...
Vers la fortune allons tout doucement.
En courant la poste, je doute
Qu’on puisse aisément la trouver ;
Sans la voir, on la croise en route...
À pied, du moins, on la voit arriver.

Mon plan est bientôt fait ; leste, comme si je descendais d’un landau, je fraude le concierge et m’introduis dans la demeure royale, bien décidé à n’en sortir que pourvu du brevet de directeur et à passer plutôt vingt-quatre heures dans les jardins, sans boire ni manger... justement ce qui a eu lieu... ce n’est pas même le plus beau de mon affaire les nuits sont fraîches en diable ! surtout quand on n’a rien dans l’estomac pour vous tenir chaud...

Il tire son portefeuille de sa poche.

Voilà donc ce qui renferme toutes mes richesses !... l’inventaire n’est pas long... mon placet, primo, c’est ce qu’il y a de plus positif... ensuite mon acte de société pour un théâtre qui ne s’est pas ouvert... ensuite, les promesses d’un ami... et enfin les serments d’une maîtresse... de cette Clarisse pour laquelle, moi, fils de famille, élève plus d’une fois lauréat de l’Université, je montai jadis sur les planches ; de cette Clarisse que je préférais à tout... et qui me préféra... un peu d’or...

Fermant le portefeuille et le mettant dans sa poche.

Ah ! serrons cette lettre... rien que d’y penser... je serais capable d’en pleurer... si je ne voulais pas en rire... Allons au plus pressé... il s’agit d’arriver jusqu’au prince... si je pouvais... essayons...

 

 

Scène V

 

FRIEDLIN, LIESTAL

 

LIESTAL, l’arrêtant au moment où il va se faufiler dans le pavillon.

Que voulez-vous ? que demandez-vous ?

FRIEDLIN, à part.

Ah ! diable ! encore une difficulté.

Haut.

Je suis le fameux Friedlin ! premier comique et tragique de toute l’Allemagne...

LIESTAL.

Connais pas.

FRIEDLIN, à part.

Lui non plus ! ils me répondent tous la même chose.

Haut.

La direction du théâtre de la cour est vacante, et je viens la demander au prince, qui ne peut la refuser à un homme d’un talent aussi colossal que le mien.

LIESTAL.

Monsieur le colosse !... quand le prince est ici, il ne s’occupe que de ses plaisirs...

FRIEDLIN.

Justement...

LIESTAL.

Et ne reçoit personne.

FRIEDLIN.

Alors... ne pouvant parler au prince... et ayant l’avantage de vous rencontrer... mon officier, auriez-vous la bonté de remettre vous-même...

Il tire un papier de son portefeuille et le lui présente.

LIESTAL, le prenant brusquement et jetant les yeux dessus.

Ce papier n’est pas un placet.

FRIEDLIN, le reprenant.

Ah ! oui !... oui, pardon... je sais ce que c’est... la lettre d’un ami... de ce cher Melbert !

LIESTAL, étonné.

M. de Melbert, votre ami ?

FRIEDLIN.

Sans doute... et le premier de tous... celui de mon enfance !... mon camarade d’étude ; mais, monsieur, est-ce que vous le connaîtriez aussi ? oh ! je vous en prie... si vous le savez, dites-moi vite ce qu’il est devenu ; j’aurais tant de plaisir à embrasser ce pauvre diable...

LIESTAL.

Comment ! pauvre diable ?... c’est notre premier ministre...

FRIEDLIN, stupéfait.

Hein ?... comment dites-vous ?... pas possible !...

LIESTAL.

Très possible, je vous jure...

FRIEDLIN, transporté.

Alors, ce papier vaut mieux que tous les placets du monde !... heureux hasard, qui me l’a fait conserver, et qui le met sous mes yeux au moment où il peut faire ma fortune... ce cher Melbert, premier ministre... c’est un rêve ! une féerie !... il y a de la magie là dedans ! mon camarade, ministre !... qui diable a donné un pareil coup de baguette ?... Mon ami, obtenez-moi seulement un moment d’entretien de Melbert... vous en serez récompensé plus tard...

Se donnant des airs.

Je ne vous dis que cela... comptez sur ma protection.

LIESTAL, le regardant en souriant.

Votre protection...

FRIEDLIN...

Eh ! mon ami, qui sait ? je suis peut-être un prince qui voyage incognito...

LIESTAL.

J’aime mieux croire que vous êtes... ce que je vois...

Il montre ses habits.

Et vous rendre service sans intérêt...

FRIEDLIN.

Sans intérêt ! prenez-y garde !... d’ordinaire ce n’est pas le taux à la cour !...

LIESTAL.

Je vais toujours tâcher de vous faire parler à M. de Melbert.

Liestal sort.

FRIEDLIN, allant s’asseoir dans le bosquet et se mettant à relire son papier.

Maintenant... je suis bien sûr d’être directeur !

 

 

Scène VI

 

FRIEDLIN, LE PRINCE, sortant du pavillon tient un billet à la main

 

LE PRINCE.

Je viens d’apercevoir la charmante Stella, qui se promène là-bas, dans les allées du parc... je me doutais bien que je trouverais plus facilement ici... l’occasion de lui déclarer mon amour... Mais comment lui faire parvenir ce billet, sans mettre personne du château dans ma confidence ?...

Apercevant Friedlin.

Un homme... dont la figure m’est tout à fait inconnue... si je le chargeais de mon message ?... au fait, j’aime mieux que ce soit un étranger... Eh ! l’ami ?...

FRIEDLIN, se retournant.

Qui m’appelle ?

LE PRINCE.

Approchez !... approchez !...

FRIEDLIN, l’examinant.

Melbert peut-être... Oh ! comme il serait changé... je ne le reconnais pas du tout.

LE PRINCE.

Mais approchez donc...

FRIEDLIN, s’approchant.

Est-ce qu’il voudrait me donner audience en plein air ?... Mais non !...

L’examinant toujours.

Ce n’est pas lui !...

LE PRINCE.

Voulez-vous me rendre un service ?...

FRIEDLIN, à part.

C’est un seigneur, toujours !...

Haut.

Trop heureux du hasard...

LE PRINCE.

Vous voyez cette jeune fille, là-bas, avec sa gouvernante ?...

FRIEDLIN.

Parfaitement... front candide, yeux baissés... elle jouerait à ravir les rôles d’ingénue...

LE PRINCE.

Plaît-il ?...

FRIEDLIN.

Ah ! pardon...

À part.

Ce diable de théâtre...

LE PRINCE.

Il s’agirait de lui remettre cette lettre... et de m’en apporter la réponse, ici...

FRIEDLIN.

À l’instant même ; mais pourrais-je savoir quel est celui... qui a daigné jeter les yeux sur moi ?

LE PRINCE.

Vous le saurez plus tard... allez, et surtout revenez vite...

FRIEDLIN.

Air du Jaloux malade.

Quoi ! je vais porter une lettre ?
Un chef d’emploi, c’est singulier !
Mais ma fierté peut le permettre...
Il n’est jamais de sot métier.
Quand l’intérêt parle, il importe,
Afin de se bien comporter,
De moins penser à ce qu’on porte
Qu’à ce que ça peut rapporter.

Il s’éloigne.

LE PRINCE, regardant.

Le voilà déjà auprès d’elle... c’est à la gouvernante qu’il s’adresse... fort bien ! il la tire à l’écart... quel est son projet ?... ah ! ah !... tandis qu’il a l’air de lui faire une confidence, il tend par derrière mon billet à la jeune fille... ce n’est pas maladroit... Elle l’a pris, bon !

Apercevant M. et madame de Liebnau qui entrent par le fond.

Ô mon Dieu ! l’envoyé de Bade et sa femme... je ne puis pas recevoir devant eux ma réponse... que diable, pendant que je fais de la diplomatie, ils auraient bien dû ne pas me déranger... l’adhésion de Stella m’intéresse bien plus en ce moment que celle du duché de Bade !...

Il rentre dans le pavillon.

 

 

Scène VII

 

LIEBNAU, CLARISSE, puis FRIEDLIN

 

LIEBNAU, entrant.

Non, madame, non, il est temps que ça finisse ; vous m’avez déjà fait faire assez de choses les yeux fermés.

CLARISSE.

Quoi donc, monsieur ?

LIEBNAU.

Eh ! mais d’abord... n’ai-je pas été fasciné par vos attraits ? n’ai-je pas manqué d’en perdre l’esprit ?... enfin, ne vous ai-je pas épousée... les yeux fermés ? Il me semble que cela peut bien s’appeler ainsi, quand c’est à la suite d’une nuit tout entière passée à votre porte...

CLARISSE.

Et ma réputation, monsieur ?...

LIEBNAU.

Eh ! madame, vous m’aviez déjà ouvert la porte quelquefois, et un pareil scrupule aurait bien dû ne pas vous prendre juste par le temps le plus effroyable... dont le souvenir restera à jamais gravé dans ma mémoire... et sur mon bras droit.

CLARISSE.

Eh ! tant mieux, monsieur.

LIEBNAU.

Comment, tant mieux, que j’aie un rhumatisme ?

CLARISSE.

Sans doute, puisque vous lui devez tout votre talent diplomatique.

LIEBNAU.

Qu’est-ce que ça peut y faire, je vous prie ?

CLARISSE.

Eh mais, ça vous empêche souvent de signer... et quand ça tombe bien... on l’attribue à votre habileté et à votre fermeté de caractère...

LIEBNAU.

Eh bien ! madame, aujourd’hui je n’en aurai pas de caractère... car mon bras va fort bien... et je signerai...

CLARISSE.

Vous signerez ?...

LIEBNAU.

Oui, madame... le soixante-quinzième article du traité d’alliance entre ce pays et le duché de Bade que je représente.

CLARISSE.

L’article par lequel serait conclu le mariage de la princesse Amélie de Bade avec le prince chez qui nous sommes ?

LIEBNAU.

Justement... mon souverain a laissé à ma sagacité le soin de décider s’il fallait consentir à cette union... et quoique vous m’en détourniez, je ne sais pourquoi...

CLARISSE, à part.

Cette alliance ferait trop d’honneur à M. de Melbert... et je saurai bien l’empêcher de réussir...

LIEBNAU.

J’ai déjà signé les soixante-quatorze premiers articles... je signerai le soixante-quinzième.

CLARISSE.

Eh bien ! monsieur... signez... mais comptez désormais sur ma haine... et croyez bien que je saisirai toutes les occasions de vous faire repentir...

Elle va s’asseoir sous le bosquet à gauche.

FRIEDLIN, entrant vivement, à Liebnau.

Monsieur, on m’a chargé de vous dire...

Il s’arrête.

LIEBNAU.

Quoi ?... achevez, mon ami...

FRIEDLIN, le regardant.

Pardon !... non, ce n’est pas à vous...

À part.

J’allais faire une bêtise...

En se reculant, il se trouve près de Clarisse.

Ah mon Dieu... et cette dame !... est-ce que le sort s’amuserait aujourd’hui à réveiller tous mes sentiments d’autrefois... maîtresse !... ami !... je vous retrouverais !... Oui, oui... je ne me trompe pas... c’est bien Clarisse... et maintenant... lui aussi je le reconnais... c’est bien là ce damné Badois dont les florins séducteurs...

LIEBNAU, qui, pendant cet aparté, s’est approché tout doucement de sa femme, toujours assise dans le bosquet, et a causé avec elle.

Allons, ne te fâche pas... Pourtant puisque j’en ai déjà signé soixante-quatorze... Il me semble qu’un de plus...

CLARISSE.

Encore !...

Air : J’en guette un petit de mon âge.

LIEBNAU.

Non, c’est fini, madame, pour vous plaire,
Je le promets, je ne signerai pas ;
Mais ce n’est point une chimère,
Je crois me sentir mal au bras...
De votre part ce n’est plus despotisme...
Paralysé !... Ma parole d’honneur !

À part.

Quand je signai l’acte de mon bonheur,
Que n’avais-je mon rhumatisme ?

Mais voyons, du moins, donne-moi tes instructions.

CLARISSE, se levant.

Eh bien ! d’abord, vous me remettrez ce traité.

LIEBNAU, étonné.

À toi ?...

CLARISSE.

Oui, à moi.

FRIEDLIN, à part.

Diable !... c’est elle qui fait la paix ou la guerre.

CLARISSE.

Ensuite, il y a un ministère vacant.

FRIEDLIN, à part.

Un ministère... c’est bon à savoir...

CLARISSE.

Vous le demanderez pour M. de Rimfeld.

LIEBNAU.

Ce jeune homme qui nous a si bien accueillis, lorsque notre chaise versa à la porte de son château ?...

CLARISSE.

Lui-même...

FRIEDLIN, à part.

Il paraît qu’un bienfait n’est jamais perdu.

LIEBNAU.

Mais tu n’y penses pas... c’est un ennemi de M. de Melbert.

CLARISSE.

Il est de nos amis... c’est moi qui vous l’assure.

LIEBNAU.

De Melbert refusera...

CLARISSE.

Alors, vous refuserez de signer...

LIEBNAU.

Cependant puisque j’ai déjà signé soixante-quatorze... Est-elle diplomate, ma femme !...

Pendant ces paroles, ils ont fait le tour du théâtre et sortent en continuant de causer.

FRIEDLIN.

Diplomate ?... j’en ai su quelque chose, autrefois... Diable !... il paraît que mon ancienne amie veut faire sauter mon ami... c’est encore bon à savoir... Mais on vient, c’est peut-être celui qui m’a chargé... non, c’est... eh ! oui... c’est Melbert !...

 

 

Scène VIII

 

FRIEDLIN, DE MELBERT

 

Liestal lui désigne Friedlin et s’éloigne.

FRIEDLIN, l’examinant.

Oh ! cette fois, je le reconnais... c’est bien lui.

MELBERT.

C’est vous qui me demandez ?... que désirez-vous ?... et d’abord, qui êtes-vous, mon ami ?

FRIEDLIN.

Parbleu, mon ami... je suis ton ami.

MELBERT.

Vous ?...

FRIEDLIN.

Eh ! oui... Friedlin... de Cassel...

MELBERT.

Friedlin ! attendez donc !... à l’Université ?...

FRIEDLIN.

C’est cela...

MELBERT.

Un assez mauvais sujet !...

FRIEDLIN.

C’est encore ça...

MELBERT.

Qui depuis a fait de grandes folies ?...

FRIEDLIN.

C’est toujours ça...

MELBERT.

Et qu’on disait mort...

FRIEDLIN, vivement.

Ce n’est plus ça...

MELBERT.

Comment !... c’est toi ?...

FRIEDLIN.

À la bonne heure donc !... tu m’avais un peu oublié... Eh bien ! je t’ai reconnu tout de suite, moi... Il est vrai qu’un ministre, ça se reconnaît toujours, il n’y a pas d’inconvénient... tandis qu’un pauvre comédien...

MELBERT.

Quoi ! tu serais ?...

FRIEDLIN.

Oui, mon ami, comédien, pour te servir... et t’amuser si j’en étais capable... je suis pour les arts, moi... Tu te rappelles à l’Université... comme je jouais le Leicester de notre grand Schiller ?...

MELBERT, stupéfait.

Comédien !...

FRIEDLIN.

Artiste de premier ordre...

MELBERT.

Cependant... tu n’as pas l’air très heureux.

FRIEDLIN.

Pas heureux ! quand je te retrouve !... mais laisse-moi te regarder à mon aise... Oui, c’est bien toi... tu n’es pas changé du tout... absolument comme à l’Université... comme au temps où nous ne nous quittions jamais... où nous vivions en frères, tu t’en souviens ?... Oh ! ta position n’était pas alors aussi brillante qu’aujourd’hui... et tes parents oubliaient même quelquefois l’échéance de ta pension...

MELBERT.

Mais tu n’oubliais pas, toi, de partager la tienne avec moi.

FRIEDLIN.

Entre amis, tout n’est-il pas commun ?

MELBERT.

Sans doute, et si tu as besoin de quelque chose...

FRIEDLIN.

De quelque chose... je ne dis pas non... de plusieurs choses même.

MELBERT, vivement.

Dispose de moi... de ma bourse.

FRIEDLIN.

L’argent... cela viendra plus tard... pour le moment, si tu voulais me faire un grand plaisir... as-tu déjeuné ?

MELBERT.

Comment !... à cette heure. Que n’as-tu parlé plus tôt... toujours bon appétit ?

FRIEDLIN.

Oui, oui... je suis assez content de l’appétit.

MELBERT, avec un soupir.

Tu es bien heureux !

FRIEDLIN.

Aujourd’hui surtout... je suis sorti si matin... j’avais pris si peu de chose...

MELBERT, appelant.

Fritz !

Un domestique paraît.

À déjeuner, dans ce bosquet, pour monsieur et pour moi... du vin de France.

Le domestique sort. À Friedlin.

Tu vois que je me rappelle ton goût !

FRIEDLIN.

Et le tien, coquin !

MELBERT.

Oh ! moi...

FRIEDLIN.

Il me semble que tu n’allais pas mal non plus... témoin ce certain jour où tous deux, un peu plus animés qu’à l’ordinaire, nous sentîmes redoubler l’amitié qui nous unissait, et où dans un saint transport...

MELBERT.

Ah ! tu me rappelles là le temps des douces pensées et des folles espérances. Alors, tout pauvre que j’étais, l’avenir m’appartenait : je ne rêvais que gloire, fortune, amour !...

FRIEDLIN.

Moi, je ne songeais tout simplement qu’au plaisir de me trouver à table, entre un joyeux compagnon et une bouteille de champagne plus joyeuse encore. Car ton amitié c’était ma gloire à moi, ma fortune, mon ambition ! aussi lorsque tu me proposas...

LE VALET, qui a apporté le déjeuner.

Son Excellence est servie.

FRIEDLIN.

Voilà une annonce qui vaut mieux que toutes celles que j’ai faites au théâtre.

MELBERT.

Assieds-toi là.

FRIEDLIN.

Volontiers. Quel déjeuner ! il paraît que tu as un fameux cuisinier !

Remplissant son assiette.

Mais c’est mal d’avoir fait des façons... la moindre chose aurait suffi... tu ne m’as pas traité en ami.

MELBERT.

Au contraire.

FRIEDLIN, se servant toujours.

Je te demande pardon de me servir moi-même.

MELBERT.

Comment donc, liberté entière.

FRIEDLIN.

C’est que, comme cela, vois-tu, on est plus sûr de l’être à son goût.

Il charge son assiette.

MELBERT, souriant.

Il me semble qu’on aurait eu de la peine à se tromper sur le tien ; tu prends de tout.

FRIEDLIN, dévorant.

C’est ce que j’appelle... la politesse de l’estomac.

Offrant à Melbert.

À ton tour.

MELBERT.

J’ai plus qu’il ne me faut.

FRIEDLIN.

Que fais-tu donc ? un biscuit trempé dans un verre d’eau pure ?

Air : Qu’on a d’mal pour se faire aimer !

Premier couplet.

Mais c’est une plaisanterie.

MELBERT.

Non... car s’il faut t’ouvrir mon cœur,
À toi l’amitié se confie,
Tout n’est pas gain dans la grandeur ;
Avec les soucis qu’elle entraîne,
Elle ôte l’appétit souvent.

FRIEDLIN.

Va donc... qu’ici rien ne te gêne :
L’appétit nous vient en mangeant.
(bis.)

Deuxième couplet.

MELBERT.

Voyons ; pour toi que puis-je faire ?

FRIEDLIN, à part.

Dois-je lui rappeler sa foi ?
Et surtout cet écrit prospère...

MELBERT.

Parle... qu’exiges-tu de moi ?

FRIEDLIN.

Tu le veux... mais vraiment je n’ose.

À part.

Pourquoi pas, puisqu’il est puissant ?...

MELBERT.

C’est peut-être trop peu de chose.

FRIEDLIN, parlant.

Peu de chose !... peu de chose ! eh ! eh ! on ne sait pas.

Achevant l’air.

L’appétit nous vient en mangeant.

MELBERT.

Explique-toi donc !

FRIEDLIN.

Mon ami... tu es ministre... c’est tout ce qu’il me faut. La fortune a comblé mes vœux.

MELBERT.

Tu es trop bon... je voudrais aussi te faire partager un peu...

FRIEDLIN.

Partager !... dis-tu ?... c’est cela... te voilà sur la voie... mais, en vérité, je n’aspirais pas si haut... non... foi de Friedlin... tu as bien fait de prendre les devants... ce n’est pas moi qui t’aurais fait arriver là.

MELBERT.

Que veux-tu dire ?

FRIEDLIN.

Quand me présentes-tu ?

MELBERT.

À qui donc ?...

FRIEDLIN.

Mais au prince ?...

MELBERT.

Comme artiste dramatique ?...

FRIEDLIN.

Non pas !... non pas !... comme artiste, si tu veux, mais dans un autre genre... oh ! un genre infiniment distingué... artiste ministre.

MELBERT.

Hein ?...

FRIEDLIN.

En un mot, comme... ton collègue.

MELBERT, riant.

Ah ! ah ! ah ! tu es bien amusant ; mais trêve de plaisanterie. Allons, voyons, mon bon Friedlin, que veux-tu de moi ?

FRIEDLIN.

Je ne plaisante pas du tout... et il me semble que je me suis exprimé... catégoriquement. Tu es ministre... je veux être... j’ai le droit d’être... ministre.

MELBERT.

Rêves-tu ?... à quel propos me fais-tu une pareille demande ?

FRIEDLIN.

Tu n’y es pas encore ?... au fait, il y a si longtemps... tu dois avoir oublié... mais moi, en qualité de comédien, j’ai de la mémoire, et, ce qui est un peu plus rare, de l’ordre, beaucoup d’ordre !... je n’égare rien... Regarde ce papier... tu connais la signature... là, au bas ?... en rouge... un petit coup de canif au bras... y es-tu ?

MELBERT.

Au fait... je crois me rappeler...

FRIEDLIN.

Maintenant écoute !...

Lisant.

« Quelles que soient la fortune et la position que le hasard me réserve, je jure sur l’honneur et devant Dieu de les faire partager à mon ami, mon compagnon, mon frère Jacques-Daniel Friedlin... me vouant à l’infamie et au mépris des hommes, si je viole mon serment, Signé : Melbert. » – Ah ! tu dois en avoir un semblable, signé : Friedlin !...

Air du Verre.

Jadis en se piquant au bras
Faust a fait un traité semblable ;
Mais toujours de pareils contrats
Ne donnent pas une âme au diable.
Je veux partager tes honneurs ;
Qu’en deux notre avenir se coupe ;
Prends la moitié de mes grandeurs,
Je t’offre un emploi dans ma troupe.

MELBERT, souriant.

C’est pourtant vrai, nous nous sommes signé une semblable promesse... je me le rappelle très bien maintenant... sans nous inquiéter, enfants que nous étions, s’il nous serait possible de la tenir.

FRIEDLIN.

Quant à ce qui me regarde, je te réponds que rien n’est plus aisé... tu es bel homme, tu as de la diction... voilà un comédien... et quant à toi, eh ! mon Dieu !... ça n’est guère plus difficile... j’ai de l’aplomb, de la souplesse, je parlerais pendant trois heures sans reprendre haleine... voilà un ministre.

MELBERT.

Dieu me pardonne !... parles-tu sérieusement ?

FRIEDLIN.

Comment donc !... dans toute ma vie, il se présentera une chance, une seule... d’arriver à une grande fortune, au pouvoir, et tu veux que j’y renonce ?... c’est comme si tu priais un homme, qui vient d’apprendre que les numéros qu’il a mis à la loterie sont sortis, de déchirer son billet !... non, non... le voilà mon billet... et je le garde, et je le ferai valoir.

MELBERT, à part.

Allons, il ne me manquait plus qu’un pareil fou sur les bras ! et je lui fais servir du champagne encore !

Haut.

Adieu, Friedlin, reviens me voir... demain matin... nous causerons...

FRIEDLIN, le retenant.

Non pas, non pas ; je te tiens, et je ne te quitte pas que je ne sois pourvu...

MELBERT.

D’un ministère ?

FRIEDLIN.

D’un ministère.

MELBERT, à part.

Il paraît que c’est une idée fixe.

Haut.

Mon Dieu ! ce serait de grand cœur, comme tu penses bien... malheureusement cela ne dépend pas de moi.

FRIEDLIN.

De qui donc ?

MELBERT.

C’est le prince qui nomme.

FRIEDLIN.

Oui, je sais cela... mais tu présentes, mon bon ami, tu présentes... tu ne peux pas dire que non... oh ! c’est que... je suis ferré sur notre constitution... je suis même plus instruit que tu ne crois de la situation des choses... il vaque un ministère, et l’on veut te forcer de le donner à M. de Rimfeld.

MELBERT, stupéfait.

M. de Rimfeld !

FRIEDLIN.

Oui, ton ennemi... il vaut donc bien mieux le demander... pour ton ami.

MELBERT, de même.

M. de Rimfeld !

FRIEDLIN.

Hein !... cette nouvelle-là te décide, j’espère ?...

MELBERT, préoccupé.

Et... comment pourrais-tu soutenir un pareil personnage ?...

FRIEDLIN.

Jouer un ministre ?... sous jambe, mon ami, sous jambe !... j’ai bien joué des rois... et quant à la diplomatie, celle du monde, celle du théâtre, même chose... il n’y a que les planches de changées... au reste, présente-moi, et si je ne me fais pas agréer, tu seras quitte.

MELBERT, à part.

Je crois, en vérité, que ma fortune lui tourne la tête.

FRIEDLIN.

Tu n’as plus rien à répondre.

À part.

Qui sait ?... mon étoile !... et puis après tout, c’est bien le diable si un homme présenté pour un portefeuille n’obtient pas un théâtre.

Haut.

Ah ! dis donc, j’espère aussi qu’en bon camarade tu me mettras un peu au fait de tes moyens d’administration et d’influence auprès du prince... les femmes... hein ?...

MELBERT.

Y penses-tu ?...

FRIEDLIN.

Non !... tant mieux...

À part.

Branche vierge !...

Haut.

Mais n’aurais-tu pas dans ta garde-robe quelque habit un peu plus présentable que celui-là !... Oh ! j’en ai, et même de très brillants dans la mienne ; mais peut-être ne conviendraient-ils pas au rôle... J’aperçois un valet.

Appelant.

Eh !... l’ami...

Le valet paraît. À Melbert.

Est-ce là ta livrée ?... de très bon goût, ma parole !... ne te dérange pas. Dis-lui seulement de me conduire.

MELBERT.

Mais écoute-moi donc !

FRIEDLIN.

Je suis à toi...

Fausse sortie.

Dans ce moment tu es ma providence !... mais je ne suis pas un ingrat... à charge de revanche, mon bon ami, à charge de revanche... Veux-tu jouer les jeunes premiers ?...

Il sort avec le domestique.

MELBERT.

Je ne sais vraiment pas comment m’en débarrasser ; c’est qu’il est homme à faire insérer ma maudite promesse dans la Tribune allemande, et quelle occasion pour mes ennemis... Allons le retrouver, et offrons-lui des dédommagements tels... Ah ! le prince.

 

 

Scène IX

 

LE PRINCE, DE MELBERT

 

LE PRINCE, sortant du pavillon.

Je voudrais pourtant bien avoir une réponse...

Il se trouve nez à nez avec Melbert.

Vous ici, monsieur ! et qui vous y a mandé ?

MELBERT.

Le désir de terminer des difficultés que Votre Altesse voit avec ennui, et de tenter un nouvel effort auprès de M. de Liebnau.

LE PRINCE, à part.

Je croirais plutôt que c’est auprès de sa jolie protégée.

Air de l’Apothicaire.

Haut.

Si je l’ai fait venir ici,
C’est que, dans ma sagesse extrême,
Vous comprenez bien qu’aujourd’hui
Je veux négocier moi-même.
Faire agir un autre pour moi
Serait d’un présage sinistre...
Il est des débats où je crois
Pouvoir me passer de ministre.

À part.

En attendant, mon chargé d’affaires près de la jeune personne ne paraît pas...

MELBERT.

Votre Altesse ne peut manquer d’être plus heureuse que moi dans ses tentatives...

LE PRINCE, à part.

Je l’espère bien...

MELBERT.

Mais peut-être devrait-elle laisser à son ministre...

LE PRINCE.

Non pas, non pas...

À part.

S’il croit que j’ai besoin de ministre pour ce qui m’occupe... Mais que diable est devenu mon messager !...

Haut.

Et vous avez vu déjà M. de Liebnau ?

MELBERT.

Je me suis présenté chez lui...

LE PRINCE, inquiet.

Eh bien ?...

MELBERT.

Je n’y ai trouvé personne...

LE PRINCE, à part.

Bon ! il n’a pas vu Stella... renvoyons-le bien vite.

Haut.

Retournez à la résidence !... Quant au ministère vacant, on m’a parlé d’une personne... mais j’attendrai que vous me fassiez aussi votre présentation pour choisir... Allez...

MELBERT, à part.

Ma présentation !... elle serait belle, si j’écoutais Friedlin...

Il salue profondément.

LE PRINCE, à lui-même, après avoir fait signe à Melbert de s’éloigner.

Maintenant que je me suis débarrassé de mon rival... songeons à retrouver ce maudit messager.

 

 

Scène X

 

LE PRINCE, DE MELBERT, FRIEDLIN, en costume brillant

 

FRIEDLIN, arrêtant Melbert qui va sortir, et sans voir le prince.

Me voilà, mon ami, me voilà... comment me trouves-tu ?... Y a-t-il beaucoup de tes collègues qui aient cette tournure-là ?... Je ne suis plus le même homme, n’est-ce pas ?... c’est là le talent !... Oh ! ce n’est rien encore ; il faut me voir aux quinquets, devant la rampe !

MELBERT, avec impatience.

Tu es fort bien, mais suis-moi...

LE PRINCE, qui ne le reconnaît pas.

Quel est donc cet homme ?

MELBERT, troublé.

Mon prince... c’est...

À part.

Je ne sais que dire...

FRIEDLIN, se retournant et à part.

Le prince... eh ! mais, c’est la personne pour laquelle j’ai une réponse... Ô hasard ! je te remercie...

Haut.

Permettez, mon prince... à un de vos plus dévoués serviteurs...

Bas à Melbert.

M’as-tu proposé ?...

MELBERT, de même.

Que le diable t’emporte !...

FRIEDLIN, de même.

Ça veut dire non !... c’est égal !... laisse-moi faire, je me proposerai bien moi-même...

S’approchant du prince ; bas.

Mon prince, c’est moi que Votre Altesse a daigné charger tout à l’heure...

Mouvement du prince.

MELBERT, à part.

Je suis au supplice !...

FRIEDLIN, au prince.

Oh ! soyez tranquille... votre secret est en bonnes mains...

LE PRINCE, bas.

Quoi ! vous êtes... c’est bien... c’est bien !... pas un mot devant M. de Melbert.

FRIEDLIN, de même.

J’entends !...

Stupéfaction de Melbert à la vue de ces marques d’intelligence. Elle redouble quand, se retournant vers lui, Friedlin continue d’un air dégagé.

Mon ami, Son Altesse désirerait rester seule un moment avec moi... ainsi...

Melbert interroge le prince du geste et du regard, et, sur un signe affirmatif, il s’éloigne en témoignant tout son étonnement.

 

 

Scène XI

 

FRIEDLIN, LE PRINCE

 

LE PRINCE, avec empressement.

Quelle réponse ?

FRIEDLIN.

Réussite complète !... la jeune personne viendra ici, ce soir, à neuf heures...

LE PRINCE.

Elle viendra !... ah ! mon ami, je suis d’une joie !... Elle m’a donc compris ?... Elle est donc sensible à mon amour ?... un pareil service mérite toute ma reconnaissance... parlez, demandez... il n’est rien que je ne sois disposé à faire pour vous !

FRIEDLIN.

Rien, mon prince... c’est beaucoup.

À part.

Ma foi, puisque c’est lui-même qui m’y engage, je serais bien bête...

Haut.

M. de Melbert doit présenter un de ses amis à Votre Altesse pour la place vacante... dans votre conseil...

LE PRINCE.

Eh bien ?...

FRIEDLIN.

Eh bien, mon prince, vous me seriez extrêmement agréable, si vous daigniez approuver son choix...

LE PRINCE.

Vous vous intéressez donc bien à cette personne ?

FRIEDLIN.

Oh ! beaucoup, mon prince.

LE PRINCE.

Nous verrons... et quand je la connaîtrai...

FRIEDLIN.

Vous la connaissez, mon prince, vous la connaissez ; elle a eu le bonheur de se trouver là, à point nommé, il n’y a qu’un instant, pour vous rendre un léger service...

LE PRINCE.

Comment ! ce serait ?...

FRIEDLIN.

Moi-même, Altesse !... vous voyez que j’avais quelque raison de m’intéresser...

LE PRINCE, à part, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah ! je ne m’attendais pas à celle-là, par exemple. Voilà un plaisant original...

Haut.

C’est fort bien... vous m’avez rendu un service, il est vrai ; mais pour arriver au ministère, il faut une position dans le monde... et le costume sous lequel je vous ai vu d’abord...

FRIEDLIN.

Oh !... habit de voyage... d’ailleurs j’en change souvent...

LE PRINCE.

En un mot... il faut des titres... j’attends que vous me fassiez connaître les vôtres.

FRIEDLIN.

C’est un titre que vous me demandez ?

LE PRINCE.

Oui, vos services...

FRIEDLIN, à part.

Si je lui parlais de mes quinze ans de théâtre !... non, à cause du préjugé... Que diable répondre ?... Eh ! parbleu, mon titre à moi, c’est la promesse de Melbert... je n’en ai pas d’autres...

LE PRINCE.

Eh bien ! vous ne répondez pas...

FRIEDLIN, fouillant dans sa poche.

Pardon ! c’est que je cherchais...

LE PRINCE.

Ah ! si vous avez en poche ce que je vous demande...

FRIEDLIN.

Comme vous dites, mon prince... J’aurais bien pu vous parler de mon intelligence, dont j’ai donné tant de preuves au public ; de la finesse avec laquelle je sais rendre toutes les nuances les plus délicates ; de la manière large avec laquelle je conçois et crée :

Air du Baiser au Porteur.

Souple, adroit, mais ferme, énergique,
Je possède plus d’un talent,
Et dans maint acte politique
D’un peuple nombreux j’ai souvent
Su mériter l’assentiment.
Parmi vos courtisans, je gage,
Il n’en est pas, dans le plus haut emploi,
Qui soutienne son personnage
Avec plus d’agrément que moi.

Mais toutes ces hautes facultés ne sont peut-être pas de rigueur dans le nouvel emploi auquel j’aspire.

Lui remettant un papier.

Daignez jeter les yeux là-dessus... j’aime mieux que vous sachiez tout de suite...

LE PRINCE, après avoir lu.

Que vois-je ?... Quoi ! Melbert a pu...

FRIEDLIN.

Vous le voyez l’amitié d’un grand homme, c’est-à-dire d’un ministre...

LE PRINCE.

Cet écrit a près de quinze ans de date... alors vous n’étiez que des enfants.

FRIEDLIN.

Simples étudiants à l’Université d’Heidelberg, mon prince.

LE PRINCE.

Et vous êtes sûr que votre ami, pour tenir sa parole, a l’intention de vous proposer...

FRIEDLIN.

Oh ! très sûr... il ne peut pas faire autrement...

LE PRINCE.

Ainsi, M. de Melbert ose me mettre en tiers dans une plaisanterie d’écoliers...

FRIEDLIN.

Ah ! ce sont les bonnes, Altesse, et je suis persuadé que vous vous rappelez toujours les vôtres avec plaisir.

LE PRINCE, à part.

L’assurance de cet homme est vraiment divertissante... j’ai bien envie... oui, je dois... il faut que je prenne ma revanche... Ah ! M. de Melbert, vous nous fournissez des armes contre vous... vous nous permettrez de nous en servir, et de nous amuser un peu à vos dépens.

À Friedlin.

Monsieur, comment vous nommez-vous ?

FRIEDLIN.

Friedlin.

LE PRINCE.

Monsieur Friedlin, donc... j’accepte vos services... oui, je vous accorde le haut emploi que votre ami...

Avec ironie.

scrupuleux observateur de sa parole, se dispose à demander pour vous.

FRIEDLIN.

Vous me nommez !... me voilà ministre !... Eh bien ! qu’est-ce que je sens donc ? on dirait que la joie va m’étouffer... j’ai un portefeuille !...

LE PRINCE.

Je ne mets qu’une condition à votre élévation... une seule...

FRIEDLIN.

Vous êtes trop bon... Laquelle ?

LE PRINCE.

C’est que, dès ce soir, vous m’apporterez la signature de l’envoyé de Bade.

FRIEDLIN, un peu étonné.

La signature de l’envoyé de Bade ?

LE PRINCE.

Ne m’entendez-vous pas ?

FRIEDLIN,

Parfaitement... il paraîtrait alors que l’envoyé de Bade n’a pas signé...

Comme inspiré subitement.

Attendez donc... il ne vous faut que cela ?...

LE PRINCE.

Pas autre chose.

FRIEDLIN.

Ah ! l’envoyé de Bade n’a pas signé !... Tiens ! tiens il ne sait peut-être pas écrire, l’envoyé de Bade !

LE PRINCE, riant.

Oh ! un ambassadeur ?

FRIEDLIN.

Ces choses-là se voient... Ces diplomates sont parfois malins comme des chats ; mais alors on a une griffe, et on appose sa griffe, et l’envoyé de Bade l’apposera.

LE PRINCE.

Mais, je vous le répète, votre faveur est à ce prix.

FRIEDLIN, avec le plus grand calme.

Voilà tout ce que vous exigez ?

LE PRINCE, à part, le regardant.

C’est étonnant... ça n’a pas l’air de l’embarrasser...

Haut.

Oui... tout... mais, dès ce soir...

FRIEDLIN, avec calme.

Vous serez satisfait.

LE PRINCE.

Nous verrons... Vous pouvez rappeler votre ami.

Friedlin va au fond du théâtre, et fait un signe à Melbert, qui revient.

 

 

Scène XII

 

FRIEDLIN, LE PRINCE, DE MELBERT

 

LE PRINCE.

Monsieur de Melbert, votre ami m’a fait connaître l’intention où vous étiez de le proposer à mon choix pour la place vacante dans le conseil.

MELBERT.

Il aurait osé ?...

LE PRINCE.

Je suis bien aise de vous apprendre que j’ai prévenu vos désirs...

MELBERT, stupéfait.

Quoi ! prince...

LE PRINCE.

Votre ami est agréé.

MELBERT.

Lui !...

FRIEDLIN, bas.

Entends-tu ?... agréé !... ce que c’est que d’être agréable !...

MELBERT.

Votre Altesse plaisante, sans doute ?

LE PRINCE.

Pourquoi donc ?... On m’avait bien parlé de M. de Rimfeld...

Avec malice.

Mais monsieur Friedlin est beaucoup plus convenable !... heureux de faire quelque chose pour vous, et de vous voir compter un ami de plus dans le conseil.

FRIEDLIN.

Remercie donc Son Altesse !...

MELBERT, bas à Friedlin.

Mais je ne puis consentir... et à supposer que le prince parle sérieusement, ce qui est impossible... demain, après demain, on s’apercevra...

FRIEDLIN, l’interrompant.

De mon mérite ? sois tranquille.

LE PRINCE.

Ah !... monsieur de Melbert !... votre ami s’est fait fort d’aplanir d’ici à ce soir les difficultés survenues avec mon cousin de Bade... J’ajouterai que c’est la seule condition que j’aie mise à la faveur qu’il recherche...

Avec intention.

et à celle dont vous jouissez vous-même...

MELBERT, vivement.

Mais, prince, je dois vous faire observer...

FRIEDLIN.

Laisse donc, mon ami, laisse donc, il est inutile d’ennuyer plus longtemps Son Altesse pour si peu de chose... Quand on te dit que je me charge de tout arranger... j’en prends de nouveau l’engagement... dès demain, son Altesse n’entendra plus parler de cette bagatelle.

LE PRINCE, à Melbert.

Voilà qui est positif...

À part.

Ce gaillard-là ne manque pas de présomption, toujours... mon premier ministre n’est pas aussi tranquille...

MELBERT, à part.

Tant de folie et d’impertinence me confondent !

LE PRINCE, examinant Melbert.

Sa stupéfaction m’amuse...

Haut.

Adieu, messieurs... je compte sur vous, avant le bal... vous avez jusqu’à dix heures...

Sortant.

J’ai donc trouvé le moyen de me délivrer d’un rival...

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

FRIEDLIN, DE MELBERT

 

FRIEDLIN.

Eh bien ! mon ami, que dis-tu de tout cela ?... Tu ne voulais pas me proposer... tu doutais de mes talents... après deux minutes d’entretien, le prince les a reconnus tout de suite... Mais dis donc, il a du mérite, ton prince... Diable... apprécier ainsi les hommes !... première qualité d’un souverain que celle-là...

MELBERT.

Malheureux !... tu ne vois donc pas que le prince s’est joué de nous ?...

FRIEDLIN.

Plaît-il ?...

MELBERT.

Je suis disgracié, te dis-je !...

FRIEDLIN.

Un moment, un moment... comment cela ?...

MELBERT.

Eh !... n’a-t-il pas fait dépendre sa faveur d’une condition impossible ?...

FRIEDLIN.

Impossible ?... je t’arrête là !... c’est ce que nous verrons... Mais quant à sa faveur... ce moyen de l’obtenir me manquerait, qu’elle ne pourrait pas m’échapper...

Avec suffisance.

J’en ai un autre... et celui-là est infaillible...

MELBERT.

Et quel est donc ce moyen admirable ?...

FRIEDLIN, confidentiellement.

Les femmes... mon ami, les femmes !... Tu prétendais tantôt que le prince... Eh bien, moi... je te dis qu’il n’est point insensible à la beauté... la preuve, c’est que je lui ai déjà fait obtenir un rendez-vous...

Air : Des Maris ont tort.

MELBERT.

Ah ! vraiment, je t’en félicite,
De pareils succès sont flatteurs.
Ce brillant début va bien vite
T’ouvrir la route des honneurs.

FRIEDLIN.

Oui, mon cher, avant peu, j’espère,
Tu verras combler mes désirs.

MELBERT.

Je vois que, dans ton ministère,
Sont compris les menus plaisirs,

FRIEDLIN.

Hein !... qu’est-ce que tu dis ?...

MELBERT.

Je dis, je dis... que je voudrais bien savoir de qui tu as obtenu ce rendez-vous ?...

FRIEDLIN.

Il n’y avait pas de nom sur le billet... mais c’est bien la plus jolie petite personne... Attends donc... tu la connais, mon ami... oui, c’est bien cela... c’est la jeune fille à laquelle tu as baisé la main ici, ce matin même...

MELBERT.

Que dis-tu, Stella ?...

FRIEDLIN.

Ah !... elle s’appelle Stella ?...

MELBERT.

Tu ne sais donc pas que je l’aime plus que ma vie...

FRIEDLIN.

Ah ! bah !... diable, aussi, je ne pouvais pas deviner ; et comme je ne savais rien de ton amour... j’ai rendu la réponse au prince...

MELBERT.

Ainsi, non content de se jouer de moi... en te choisissant pour mon collègue...

FRIEDLIN

Merci bien...

MELBERT.

Le prince veut encore m’enlever celle que j’aime...

FRIEDLIN.

T’enlever ! un instant ! nous sommes là... et puisque le rendez-vous est pour toi... eh bien ! il faut aussi le reprendre.

MELBERT.

Au prince ?...

FRIEDLIN.

Au diable lui-même... si le diable l’avait obtenu... D’abord, quels sont les parents de la jeune personne ?...

MELBERT.

Elle a été élevée par la femme de l’envoyé de Bade.

FRIEDLIN.

La femme de l’envoyé ?

MELBERT.

Oui, la belle Clarisse de Liebnau...

FRIEDLIN.

Ah ! mon Dieu !

MELBERT.

Qui lui a servi de mère, et qui ne l’a pas quittée depuis sa naissance ; car Stella, qui compte seize ans à peine...

FRIEDLIN.

Seize ans !...

MELBERT.

Qu’as-tu donc ?

FRIEDLIN, ému.

Ah ! ce que tu m’apprends là me fait un effet... que je ne me serais jamais cru susceptible d’éprouver... un drôle d’effet, parole d’honneur, mon ami... mon ami... réjouis-toi, tout peut encore s’arranger.

MELBERT.

Ah ! je n’ai d’espoir qu’en Stella, et je cours tâcher de la prévenir.

Il sort vivement.

 

 

Scène XIV

 

FRIEDLIN, seul

 

Stella ! cette jolie enfant à laquelle j’ai parlé ce matin, il serait possible !... Allons, allons, il faut qu’elle épouse Melbert... il ne faut pas qu’elle soit la maîtresse du prince... Écrivons.

Il écrit sur ses tablettes. S’approchant du pavillon.

Quelqu’un ?...

Un domestique paraît.

Faites-moi le plaisir de remettre ce billet à madame de Liebnau.

LE DOMESTIQUE.

La voilà, monsieur, qui s’approche.

FRIEDLIN.

N’importe... remettez-le-lui tout de même.

À part.

Je suis curieux de voir l’effet que mon nom fera sur elle...

Il se retire au fond.

 

 

Scène XV

 

FRIEDLIN, CLARISSE

 

Le domestique lui remet le billet, qu’elle ouvre et qu’elle lit bas.

CLARISSE, après avoir lu.

Que vois-je ? Friedlin !... mon ancien camarade, ici !... comment a-t-il appris ?... Il veut sans doute me demander ma protection... et peut-être me parler d’autrefois... Non, non !... je ne veux pas le recevoir... je ne le recevrai pas...

Au domestique.

Mon ami, vous direz qu’il n’y a point de réponse.

Le domestique retourne auprès de Friedlin.

FRIEDLIN, au valet.

Annoncez le nouveau ministre.

LE DOMESTIQUE, annonçant.

Madame, le nouveau ministre lui-même.

Il sort.

CLARISSE, à elle-même.

Le nouveau ministre... il est donc nommé... Monsieur de Rimfeld sans doute...

En se retournant, elle aperçoit Friedlin qui s’est approché et qui la salue profondément.

Friedlin !... encore !...

FRIEDLIN.

Oui, madame... mais rassurez-vous... ce n’est pas à lui...

Appuyant.

à l’ancien camarade, que vous accordez audience ; c’est au nouveau ministre, et c’est lui qui présente ses hommages... à la femme de l’ambassadeur...

CLARISSE.

Vous, ministre ?...

FRIEDLIN.

Cela vous étonne... prenez garde, l’étonnement est contagieux...

CLARISSE.

L’autre jour, en parcourant l’Almanach des théâtres, j’ai encore remarqué votre nom...

FRIEDLIN.

Oh !... je joue toujours la comédie... et vous, madame ?...

CLARISSE.

Monsieur...

FRIEDLIN.

Oh ! pardon... mais revenons à l’objet de l’entrevue que j’ai réclamée... Je vous demanderai d’abord, pour mon ami, monsieur de Melbert...

CLARISSE.

Ah ! c’est votre ami ?...

FRIEDLIN.

Oui, madame... la main de l’aimable enfant à qui vous servez... de mère.

CLARISSE.

Je l’ai refusée à lui-même...

FRIEDLIN.

Ce n’est pas une raison pour me la refuser... à moi... il est bien coupable sans doute, d’avoir songé à une pauvre jeune fille en présence de la brillante madame de Liebnau. Ce n’est pas moi... qui aurais... les souvenirs sont encore trop puissants... Ah ! ma foi, au diable la cérémonie et l’étiquette, c’est trop ennuyeux... et je ne comprends pas comment tu as pu m’écouter si longtemps sans éclater de rire.

Air : L’amour qu’Edmond.

CLARISSE.

C’en est trop, monsieur, et je pense
Que vous oubliez qui je suis...

FRIEDLIN.

En effet, quelle irrévérence !
J’en conviens, je me suis mépris...
Mes paroles sont indiscrètes...
Mais, entre nous, vous me pardonneriez,
Si, quand j’oublie ici ce que vous êtes,
J’oubliais ce que vous étiez.

CLARISSE.

Monsieur !

FRIEDLIN.

Par malheur je n’oublie rien du tout... au contraire, je me souviens parfaitement... et quand on a joué ensemble la traduction de cette jolie pièce française... Marton et Frontin...

CLARISSE.

Les temps sont changés...

FRIEDLIN.

Oui, je sais bien... vous jouez maintenant les grandes coquettes... et moi les premiers sujets... autrement dit ministres... Je commence à être un peu marqué pour les amoureux... et cependant, en te revoyant... il me semble...

CLARISSE.

Monsieur, si vous continuez ainsi... je me retire...

FRIEDLIN.

Tu as raison... revenons d’abord à nos affaires et récapitulons... Je demande pour mon ami la main de la jolie Stella...

CLARISSE.

Je la refuse...

FRIEDLIN.

Bien !... continuons toujours... et pour moi, que tu te rendes ici à neuf heures... là, près de ce bosquet...

CLARISSE.

Osez-vous bien ?...

FRIEDLIN.

Oh !... non pas seule... honorablement... avec monsieur de Liebnau, dont la présence est nécessaire... en cette occasion...

CLARISSE.

Adieu, monsieur...

FRIEDLIN.

C’est là votre réponse ?... Elle n’est pas fort aimable... c’est égal... je me rappellerai toujours avec plaisir un temps où vous ne me quittiez pas ainsi... et quand je raconterai au prince certaines anecdotes... fort amusantes... je suis sûr qu’il rira comme un fou.

CLARISSE.

J’espère que vous n’aurez pas l’impertinence...

FRIEDLIN.

De faire rire le prince ? si fait, madame...

CLARISSE.

Je ne me laisserai point calomnier impunément... je vous en avertis...

FRIEDLIN.

Oh !... je n’avancerai rien que je ne puisse prouver...

CLARISSE, à part.

Que veut-il dire ?

FRIEDLIN.

Et vous en conviendriez bientôt... si je mettais sous vos yeux...

CLARISSE, troublée.

Voyons, monsieur, voyons...

FRIEDLIN.

Inutile, le moment n’est pas encore arrivé... Viendrez-vous ici à neuf heures ? Oui... tu ne peux me refuser...

CLARISSE.

Insolent !

FRIEDLIN.

Vous y viendrez, madame, si vous tenez à sauver votre fille qui doit s’y trouver avec le prince.

CLARISSE.

Grand Dieu ! que dites-vous ?

FRIEDLIN.

La vérité ! et tu dois réunir tes efforts aux miens... car ce soir, il faut que Stella soit la femme de Melbert... ou la maîtresse du prince.

CLARISSE, avec fierté.

Ni l’une, ni l’autre...

Elle sort vivement.

 

 

Scène XVI

 

FRIEDLIN, seul

 

Ah ! madame de Liebnau, vous faites la récalcitrante !... Eh bien ! vous reconnaîtrez tout à l’heure que j’ai le droit de donner un époux à votre aimable protégée, et vous m’aplanirez la route des grandeurs... Moi, ministre ! oh ! la bonne folie !... mais, pour mon honneur, il faut que je le sois... au moins... dix minutes... Pourquoi diable aussi, vous, femme d’un ambassadeur, vous êtes-vous avisée jadis de jouer la comédie !...

Regardant.

On vient... sans doute le prince... et de l’autre côté, une robe blanche ; c’est la jeune fille qui s’avance seule... restons encore... mais à l’écart... c’est à moi de la protéger.

Il se retire derrière le bosquet.

 

 

Scène XVII

 

LE PRINCE, STELLA, FRIEDLIN

 

Il fait presque nuit.

Air : Silence (Nocturne de Carcassi, dans le Sylphe).

LE PRINCE, entrant doucement par la droite.

Dans l’ombre...

STELLA, paraissant par la gauche.

Dans l’ombre...

LE PRINCE.

Avançons...

STELLA.

J’ai peur.

Ensemble.

LE PRINCE.

À cette nuit sombre
Je dois le bonheur.

STELLA.

Cette nuit si sombre
Accroît ma frayeur.

Arrêtée à droite.

Oui, mon cœur timide
Palpite d’effroi...

FRIEDLIN, dans le fond.

Je serai ton guide,
Enfant, calme-toi !

Ensemble.

FRIEDLIN.

Dans l’ombre,
Enfant, va sans peur ;
Car cette nuit sombre
Fera ton bonheur.

STELLA.

Dans l’ombre,
Ici, j’ai bien peur,
Et la nuit plus sombre
Accroit ma frayeur.

LE PRINCE.

Dans l’ombre,
Avançons sans peur ;
Cette nuit si sombre
Fera mon bonheur.

Le prince et Stella se rencontrent.

STELLA, bas.

Est-ce vous ?...

LE PRINCE.

Enfin, la voici !

STELLA.

J’ai bien manqué de ne pas venir, allez !... heureusement, j’ai entendu madame de Liebnau qui rentrait ; car je n’ai eu que le temps de m’esquiver... parlez vite, y a-t-il quelque nouvelle ?

LE PRINCE.

La meilleure de toutes pour moi, aimable enfant... puisque vous êtes venue...

STELLA, à part.

Grand Dieu ! ce n’est pas Melbert !...

Haut.

Qui êtes-vous, monsieur, et que voulez-vous ?...

LE PRINCE.

Je veux... profiter des doux instants que vous avez consenti à m’accorder.

STELLA, à part.

C’est le prince... nous sommes perdus.

LE PRINCE.

Rassurez-vous...

STELLA.

Ah ! prince... je me jette à vos pieds... il y a eu méprise... et vous n’abuserez pas... apprenez toute la vérité...

LE PRINCE.

Elle ne plaît pas toujours aux princes... et j’ai bien peur que celle-là...

STELLA.

C’est M. de Melbert que j’aime... et c’est lui que je croyais rencontrer ici.

FRIEDLIN, à part.

À la bonne heure !

LE PRINCE.

Melbert ?... un rival, c’est bien !... mais un rival aimé... c’est trop bien.

STELLA.

Ah ! vous ne nous séparerez pas ; vous vous montrerez généreux. Vous avez lu dans mon âme : il n’est pour moi qu’au bonheur, et c’est de vous que je l’attends... Un prince est le père de ceux qui souffrent !

LE PRINCE.

Votre père, votre père !... je ne me croyais pas si respectable. Ne faudrait-il pas encore leur donner ma bénédiction ?

STELLA.

Ah ! prince ! dites, dites que vous ne refusez pas.

MELBERT, entrant.

Qu’entends-je ?

FRIEDLIN, à part.

Voici Melbert... plus de danger pour la pauvre petite.

 

 

Scène XVIII

 

LE PRINCE, STELLA, FRIEDLIN, DE MELBERT

 

MELBERT, à part.

Stella avec le prince !...

S’avançant rapidement. Haut.

Continuez, mademoiselle, c’est fort bien !...

STELLA, surprise.

Melbert !...

MELBERT.

Le ministre en faveur méritait votre amour... mais l’on ne doit plus rien à un ministre disgracié...

STELLA, à Melbert.

Que dites-vous ?...

LE PRINCE, à part.

À qui en a-t-il donc ?... c’est lui qui se plaint, je crois... c’est un peu fort !... Encore, s’il avait des raisons pour cela, on pourrait l’excuser... mais...

 

 

Scène XIX

 

LE PRINCE, STELLA, FRIEDLIN, DE MELBERT, MONSIEUR et MADAME DE LIEBNAU, DOMESTIQUES, portant des flambeaux

 

CLARISSE.

Que faites-vous ici, mademoiselle ?

LE PRINCE, à part.

Les autres, maintenant !

CLARISSE, se retournant vers Melbert.

Seule, avec M. de Melbert !...

LE PRINCE, s’avançant.

Pardon... j’y suis aussi, madame.

FRIEDLIN, toujours derrière le bosquet.

Bon... les ennemis sont face à face.

CLARISSE.

Ah ! prince, que ne vous dois-je pas... car c’est votre présence, j’en suis sûre, qui a fait échouer les projets de séduction... dont je vous demande justice.

FRIEDLIN.

Elle s’adresse bien !

LE PRINCE.

Je vais la rendre à tout le monde.

FRIEDLIN.

Voyons un peu.

STELLA.

Je n’ai rien à me reprocher, madame ; et quant à M. de Melbert... ce n’est pas lui qui était venu ici dans des intentions coupables.

LE PRINCE, à part.

À merveille !

Haut.

Monsieur de Melbert sait à quelles conditions j’avais consenti à lui conserver ma faveur ; il ne sera donc pas surpris si je la lui retire.

À Liebnau.

J’ai appris que le choix de M. de Rimfeld vous serait agréable ; je l’appelle dans mon conseil... Et comme je connais tout l’intérêt que vous portez à mademoiselle, je vous demande sa main pour M. de Rimfeld.

STELLA.

Ô ciel !... oh ! jamais.

FRIEDLIN, à part.

Bien ! c’est comme s’il la gardait pour lui.

MELBERT, à part.

Plus d’espoir !

Fausse sortie.

FRIEDLIN, bas.

Demeure, ce n’est qu’une péripétie ; j’ai là un autre dénouement.

MELBERT, le retenant

Et que veux-tu ?...

FRIEDLIN.

Tais-toi... ou tu vas me faire manquer mon entrée.

S’avançant.

Prince...

TOUT LE MONDE.

Ah !

FRIEDLIN.

Excusez si je vous dérange. Vous avez promis justice à tout le monde... je viens en réclamer une petite part.

LE PRINCE, l’examinant.

Vous ?... Eh ! c’est monsieur Friedlin ? vous arrivez un peu tard.

FRIEDLIN.

Qu’importe, s’il est encore temps.

LE PRINCE.

J’en doute. Vous savez nos conventions ?

Tirant sa montre.

Il ne vous reste plus qu’un quart d’heure.

FRIEDLIN.

C’est dix minutes de trop... Les travaux de mon ministère ne m’avaient pas encore permis de voir M. de Liebnau pour la difficulté en question...

Ici Liebnau lui fait de grands saluts.

Mais puisque ma bonne étoile me le fait rencontrer en ces lieux, je vous demanderai la permission de terminer cette petite affaire devant vous, mon prince, afin que vous puissiez voir... comment j’opère.

LE PRINCE.

Il est étourdissant !

LIEBNAU, à part.

Qu’est-ce qu’il veut donc opérer avec moi ?... serait-ce pour le soixante-quinzième ?...

CLARISSE, de même.

Son audace me fait trembler.

MELBERT, à part.

Je n’ai plus d’espoir... et pourtant je reste.

FRIEDLIN, à Liebnau.

Monsieur de Liebnau... c’est votre signature que vous refusez au soixante-quatorzième protocole, je crois ?

LIEBNAU.

Soixante quinzième, monsieur.

À part.

J’avais deviné.

FRIEDLIN.

Soixante-quinzième, c’est possible.

LE PRINCE.

Le temps s’écoule, et vous n’arrivez pas.

FRIEDLIN.

Patience ! Je suis de l’avis de ce grand ministre qui pensait, contre l’opinion de ses collègues, que la ligne droite n’est pas le plus court chemin d’un point à un autre... Une légère digression... Il y a seize ans, à Berlin...

CLARISSE, à part.

Que va-t-il dire ?

FRIEDLIN.

J’eus le bonheur d’être aimé par une dame...

CLARISSE, de même.

Ciel !

FRIEDLIN.

Charmante, pleine d’esprit...

LE PRINCE.

Ah ! s’il va nous conter ses bonnes fortunes !...

FRIEDLIN.

Une femme enfin capable de tourner la tête du plus humble artiste... comme celle du plus grand seigneur.

CLARISSE, à part.

Oserait-il ?...

FRIEDLIN.

J’étais donc heureux...

LIEBNAU.

Je vous en fais mon compliment, monsieur...

CLARISSE, bas à Friedlin.

Prenez garde à vos paroles.

LIEBNAU.

Mais je ne vois pas quel rapport le soixante-quinzième...

FRIEDLIN.

J’y viens. Je disais que cette femme ravissante... était folle de moi... à tel point qu’elle me signa un petit écrit où elle s’engageait à ne jamais en aimer un autre... que votre très humble serviteur. J’ai cet écrit.

CLARISSE, à part.

Grand Dieu !

LE PRINCE, riant.

Ah ! le bon billet !...

FRIEDLIN.

Comme vous dites, mon prince. Un soir... après... une scène,

Bas à Liebnau.

sur le grand théâtre de Berlin...

LIEBNAU, inquiet.

De Berlin... un soir...

CLARISSE, bas à Friedlin.

Vous me perdez.

FRIEDLIN, de même.

Je l’espère bien.

Haut.

Il faisait un temps épouvantable.

LIEBNAU, à part.

Diable ! ceci me rappelle...

FRIEDLIN, continuant.

J’étais chez ma belle, assis tranquille auprès d’un feu pétillant... jamais elle ne m’avait paru si jolie... jamais je ne l’avais tant aimée... Tout à coup, on frappe à la porte à coups redoublés.

LIEBNAU, à part.

Comme moi.

CLARISSE, bas.

Au nom du ciel, taisez-vous !

FRIEDLIN, de même.

Fermez-moi la bouche. Vous savez ce que je veux ?...

LIEBNAU.

Après ?... après ?

FRIEDLIN.

Après... L’idole de mon cœur... tombe à mes genoux... me supplie de me cacher... de lui permettre d’ouvrir à quelqu’un qu’elle détestait...

LIEBNAU.

La perfide !

FRIEDLIN.

Mais qu’elle avait le plus grand intérêt à ménager... les coups redoublent...

LIEBNAU, à part.

Bien sûr, c’était moi !...

LE PRINCE, riant.

Ah ! ah ! ah ! je vois d’ici ce pauvre rival, frappant toujours... toujours, et trempé jusqu’aux os... Et probablement vous avez refusé ?...

CLARISSE, bas, vivement à Friedlin.

J’accorde tout... la main de Stella... la signature de mon mari...

FRIEDLIN, à Liebnau.

Je consentis.

LE PRINCE.

Quelle bêtise !

LIEBNAU, à part, avec joie.

Ah !... pour le coup, ce n’est plus moi... car j’ai bien passé toute la nuit à la porte...

Portant la main gauche à son bras droit.

Témoin...

CLARISSE, bas à Friedlin.

Monsieur, le traité...

FRIEDLIN, de même.

Avec le soixante-quinzième.

LE PRINCE.

Et le lendemain ? car j’aime beaucoup les lendemains.

CLARISSE, bas à Friedlin.

Ma lettre, monsieur.

FRIEDLIN, de même.

Protocole... pour protocole...

Ils font l’échange à la dérobée.

Enfin !...

Haut.

Le lendemain, mon prince, quand je me présentai chez elle... elle était partie.

LE PRINCE.

Toute seule ?

FRIEDLIN.

Non pas.

CLARISSE, bas.

Monsieur !...

FRIEDLIN.

Avec un gros...

Regardant Liebnau.

avec un gros brasseur de Silésie.

LE PRINCE.

Bravo !

LIEBNAU, à part, s’essuyant le front.

Ah ! il m’avait remis tout en nage.

LE PRINCE.

Tu as été joliment payé de ta générosité.

FRIEDLIN.

Oui, mon prince, car c’est à elle que je dois... peut-être... de pouvoir vous remettre en ce moment...

Il lui présente le papier qu’il a reçu de Clarisse.

LE PRINCE.

Comment ! ce que depuis quinze jours mon ministre n’avait pu obtenir !

FRIEDLIN.

Enlevé en cinq minutes.

LE PRINCE, à part.

Qu’est-ce que cela veut dire ?...

Examinant Clarisse.

Est-ce que par hasard ?...

FRIEDLIN.

Mais... ce n’est que pour mon ami que je réclamerai vos bonnes grâces... et j’espère que vous vous joindrez à moi pour lui faire accorder la main de l’aimable Stella.

LE PRINCE.

Oh ! pour cela, je n’ai rien promis, et...

FRIEDLIN, bas.

Vous oubliez que la princesse Amélie vous est donnée par ce protocole...

LE PRINCE.

Diable ! tu as raison... je n’y songeais plus. Approchez, Melbert.

FRIEDLIN, à Melbert, lui prenant la main.

Permets qu’à mon tour je te présente.

LE PRINCE.

Je vous conserve ma faveur... et je pense que madame de Liebnau ne vous refusera plus celle que vous sollicitez.

FRIEDLIN, à Melbert.

Elle est à toi.

MELBERT.

Ah ! mon ami...

STELLA.

Ah ! monsieur, que ne vous dois-je pas ?

FRIEDLIN.

Rien, mon enfant ; seulement le jour de votre mariage, je vous demanderai la permission de vous embrasser.

STELLA.

Oh ! tout de suite.

LE PRINCE.

Mais, dites-nous donc un peu, monsieur Friedlin, quel singulier costume de diplomate vous aviez pris ce matin ?

FRIEDLIN.

C’était celui du pauvre comédien...

LE PRINCE.

Qu’entends-je ?

FRIEDLIN.

Qui n’était venu ici que pour obtenir une direction de théâtre, mon prince, et qui y borne ses vœux...

LE PRINCE.

Comédien !... Je ne m’étonne plus qu’il ait si bien réussi.

FRIEDLIN.

Vous m’avez tous si bien secondé !

LE PRINCE.

Je te nomme intendant de mes menus plaisirs...

FRIEDLIN.

J’accepte... Promesse d’ami, serment de maîtresse !... vous aurez donc une fois valu quelque chose !

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